PIAGET JEAN (1896-1980)
« Il a abordé des questions jusque-là exclusivement philosophiques d'une manière résolument expérimentale (empirical) et a constitué l'épistémologie comme une science séparée de la philosophie, mais reliée à toutes les sciences humaines. » Ajoutons, avec Piaget lui-même : « et d'abord à la biologie ». Cet hommage de l'American Psychological Association est celui dont Piaget s'enorgueillissait le plus, où il se reconnaissait le mieux. Ainsi, l'homme qui a consacré à la pensée de l'enfant tant de pages et tant d'observations minutieuses, celui qu'on considère unanimement comme le plus grand psychologue du développement cognitif, accepte volontiers qu'on regarde son travail psychologique comme un sous-produit (by product) de son œuvre. Nous préférerions dire : un détour. Mais un détour obligé.
La théorie de Piaget – car théorie il y a, et au sens plein du terme – est en effet avant tout une théorie de la connaissance, et Piaget s'est posé en définitive la même question que se posèrent Aristote, Descartes ou Kant. Mais comme la connaissance est l'œuvre d'un sujet qui fait partie du monde et qui a une histoire, Piaget a cru devoir regarder ce sujet à l'œuvre, sur les bancs de l'école comme à travers l'histoire de la science, au lieu de se donner axiomatiquement un quelconque cogito. Le recours à une psychologie positive n'est donc ici ni une ruse ni une simple précaution. La théorie de la connaissance ne pouvait être qu'une théorie du sujet connaissant. Encore faut-il ajouter que l'enquête psychologique requise a pour objet non pas le savant ou l'enfant en tant que sujets actuels du savoir, mais le développement même de la connaissance, développement qui est à la fois l'explicandum et l'explicans. On reviendra sur ce cercle apparent. Disons pour l'heure que Piaget a substitué à la question kantienne de savoir comment la connaissance est possible, la question de savoir comment et pourquoi elle est toujours possible et toujours en progrès.
La genèse du projet
Né à Neuchâtel (Suisse) le 9 août 1896, Jean Piaget commence sa carrière scientifique à... onze ans. C'est en 1907 qu'il devient famulus du zoologiste Paul Hodet, auteur d'un Catalogue des Mollusques neuchâtelois, et qu'il publie son premier article (sur « un moineau albinos »). De 1911 à 1920, il fait paraître vingt-cinq études de malacologie, où l'on peut voir abordés, à travers les inventaires taxinomiques et comparatifs, quelques problèmes majeurs : fixité de l'espèce et adaptation au milieu extérieur, rétroactivité du milieu sur les formes spécifiques, persistance et transmission des caractères acquis, etc. Cet ensemble de travaux aboutit, en 1921, à la publication de sa thèse de doctorat (en zoologie) : Introduction à la malacologie valaisane.
Entre-temps, Piaget a découvert la philosophie. Il a lu, avec un enthousiasme extrême, L'Évolution créatricede Bergson, puis certaines œuvres de William James. Au lycée, puis à l'université, il a suivi les enseignements du logicien Arnold Reymond qui l'ont orienté vers Aristote, les mathématiques et l'épistémologie. Dès 1916, Piaget a choisi de se consacrer à la philosophie, « avec pour but central de concilier la science et les valeurs religieuses ». Deux essais parus sous le titre La Mission de l'Idée (1916) et une sorte de roman très lyrique, Recherche (1918), reflètent les préoccupations à la fois scientifiques et métaphysiques, intellectualistes et sentimentales du jeune homme face aux problèmes du temps ; la science et la foi, la paix et la guerre, le christianisme traditionnel et le socialisme naissant ; mais ces diverses inquiétudes s'inscrivent dans un projet très fortement articulé, qui trace le programme d'une vaste étude du progrès (le progrès[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Pierre GRÉCO : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Média
Autres références
-
ASSIMILATION & ACCOMMODATION, psychologie
- Écrit par Alain DELAUNAY
- 579 mots
La réunion de ces deux notions a été proposée par Jean Piaget pour éclaircir et conceptualiser deux aspects fonctionnels qui caractérisent tous les phénomènes d'adaptation au sens le plus général du terme.
Les concepts d'assimilation et d'accommodation sont apparus dans des registres...
-
BRUNER JEROME SEYMOUR (1915-2016)
- Écrit par Encyclopædia Universalis
- 487 mots
Psychologue américain spécialiste de l’apprentissage et de la cognition chez l’enfant.
Jerome Seymour Bruner naît à New York le 1er octobre 1915. Orphelin de père à l’âge de douze ans, il accomplit ses études à l’université Duke, à Durham, en Caroline du Nord (licence en 1937), puis à Harvard,...
-
COGNITIVES SCIENCES
- Écrit par Daniel ANDLER
- 19 262 mots
- 4 médias
...psychologie à la fois développementale et sociale, dont l'orientation constructiviste inspire aujourd'hui tout un courant des sciences cognitives. À Genève, Jean Piaget fonde en 1955, sous le nom d'« épistémologie génétique », une école de sciences cognitives avant la lettre, qui connaît également aujourd'hui,... -
CONSCIENCE MORALE
- Écrit par Laurent BÈGUE
- 1 167 mots
La faculté de formuler des jugements sur la valeur morale des actions humaines, ou conscience morale, a fait l’objet de développements importants en psychologie, notamment depuis la parution en 1932 de l’ouvrage Le Jugement moral chez l’enfant de Jean Piaget. Au moyen de protocoles d’observation,...
- Afficher les 27 références